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What are universities for? [en]

La 'League of European Research Universities' regroupe quelques-unes des meilleures universités européennes. Dans cette étude, elle "met en garde contre une vision « utilitariste et commerciale » de la recherche et de l'enseignement. En effet, les universités ne pourront continuer à remplir leur rôle, à savoir développer des innovations prometteuses et assurer la formation des générations futures, que si la liberté de la recherche et de l'enseignement ainsi que l'autonomie des universités sont garanties."

Le résumé en français est disponible ici. En voici quelques extraits :

"Les universités travaillent sur le long terme tout en traitant des défis d'actualité. D'un côté, elles forment les étudiants et leur permettent d'entrer dans le monde armés à la fois de connaissances générales et de connaissances spécifiques, qui contribuent au bien être de la société et leurs recherches portent sur des problèmes contemporains. D'un autre côté, elles s'intéressent à des domaines d'abstraction et d'investigation qui peuvent sembler à certains ne pas présenter de pertinence immédiate mais qui possèdent un riche potentiel pour des bénéfices futurs. [...]

Du fait de l'intérêt porté aux défis concurrentiels immédiats que pose la globalisation, la société et les pouvoirs publics ont tendance à considérer les universités comme des fournisseurs de biens et services marchands destinés à des clients, que ceux-ci soient des étudiants, des entreprises ou l'état. On s'attend à ce qu'elles repensent leurs produits et leur présentation et à ce qu'elles les vendent en fonction des changements de priorités des consommateurs et en vue d'une gratification immédiate du marché. Les gouvernements cherchent à les réguler et les stimuler afin d'en faire des instruments de politique publique, à la fois sociale et économique, dans une perspective à court terme.

Si les pouvoirs publics ont raison de chercher à impliquer les universités dans les problèmes et les objectifs actuels des sociétés, elles ne doivent pas oublier les fonctions essentielles des universités.[...]

Une université qui ne se façonnerait qu'en fonction des demandes d'actualité serait une université qui aurait oublié son histoire et ses succès passés. Les préoccupations actuelles ne peuvent être qu'à courte vue, très souvent éphémères, sans assez penser aux lendemains. Les idées, les réflexions et les technologies dont aura besoin l'avenir ou qui forgeront l'avenir ne nous sont pas connues et les exercices de prévisions se caractérisent par un bilan lamentable dans leurs tentatives de prédiction. Le rythme à couper le souffle de l'innovation scientifique, technologique et sociétale a changé et continue de changer notre manière de vivre, d'une façon imprévisible, et il en sera de même à l'avenir. Les universités, avec leur créativité et leur liberté de penser, sont une ressource vitale pour l'avenir et une sorte d'assurance sur l'avenir. Les politiques qu'on essaie de plus en plus de leur imposer supposent de façon implicite qu'on peut prédire l'avenir et que le cadre sociétal et économique est statique. [...]

La recherche fondamentale, qui compacte et généralise nos connaissances, vivifie l'enseignement qui teste les limites de la connaissance et nourrit les travaux des chercheurs au sein de l'université. Il s'agit là d'une « compétence transférable » fondamentale qui peut s'appliquer à des circonstances et des phénomènes beaucoup plus nombreux que n'importe quel catalogue d'expertises. Il s'agit d'un investissement vital pour l'avenir.

Mais le rôle éducatif de l'université va bien au-delà. Il ne faut pas se contenter de s'intéresser à ce que l'on apprend, il faut aussi se demander comment on apprend. Génération après génération, les universités servent à faire réfléchir les étudiants. Elles s'y emploient en nourrissant et en formant leur capacité instinctive à comprendre et à chercher du sens. Elles apprennent aux étudiants à mettre en cause les interprétations qui leur sont servies, à mettre de l'ordre dans le chaos d'informations en le présentant comme un argumentaire analytique et en y cherchant ce qui est pertinent pour résoudre un problème spécifique. [...] Une dynamique et une alchimie complexe assurent chaque année l'entrée dans la société de diplômés qualifiés et créatifs qui viennent raviver en permanence son excellence technique et sa vitalité économique, sociale et culturelle. [...]

Les décideurs politiques semblent considérer de plus en plus les universités comme des supermarchés pourvoyeurs de biens et de services qui sont actuellement recherchés. L'une des prestations actuellement disponible et très prisée est le rôle des universités comme moteurs de l'innovation et du développement économique. L'innovation est avant tout un processus de nature économique qui implique les marchés, un processus dans lequel les universités ne peuvent jouer qu'un rôle faiblement actif. Mais d'un autre côté elles contribuent à la fertilité de l'environnement dont a besoin l'innovation pour fleurir. Même aux Etats Unis où les prestations commerciales des universités sont les plus développées, leurs retombées financières n'apportent pas une contribution importante au PNB. Ces activités de l'université ont un rôle différent à jouer : elles aident à créer un environnement propice à l'innovation, en particulier là où elles sont associées à de la recherche de niveau international et des diplômés de qualité. [...] La base de ce potentiel reste néanmoins l'implication de l'université dans l'enseignement au sens le plus profond du terme et son exploration, à travers la recherche, des limites de l'entendement humain. [...]

La vision de plus en plus instrumentale des universités qui se concentre trop fréquemment sur les sciences exactes, la technologie et la médecine, avec un hochement de tête un peu méprisant en direction des sciences humaines et sociales, équivaut implicitement à sous-estimer l'importance de ces disciplines pour la société. Les sciences humaines et sociales s'intéressent à des questions qui sont essentielles pour la stabilité, le bon ordre, la créativité et l'inspiration de la société. Elles permettent de comprendre les raisons pour lesquelles nous exprimons différemment les caractéristiques communes de notre existence ainsi que nos différences en tant qu'individus, groupes ou cultures. L'histoire, et en particulier l'histoire moderne et contemporaine, démontre l'importance extrême de la dissémination de cette compréhension pour la stabilité et la santé des sociétés. [...]

Le défi pour les gouvernements consiste à articuler une entente avec les universités qui reconnaisse la valeur de leur autonomie et de leur liberté et qui les encourage. Il s'agit aussi d'évaluer leur valeur et leur apport sans mettre en œuvre des mécanismes écrasants de contrôle ou de pilotage qui sapent leur efficacité, et de créer des processus de financement qui ne les entraînent pas vers des idées étriquées et à court terme. Le défi pour les dirigeants universitaires est de reconnaître que la liberté académique est source essentielle de créativité et que la liberté de chercher, de débattre, de critiquer et d'exprimer la vérité aux autorités, qu'il s'agisse des gouvernements, des financeurs des universités ou de leurs gestionnaires, est essentielle pour sa vitalité et son utilité pour la société. [...] Il est crucial [...] qu'ils ne se laissent pas séduire par l'illusion de la primauté de l'administration et qu'ils comprennent que ce qui complique la gestion ne doit pas nécessairement être supprimé ou modifié. Une université dotée d'une administration puissante et d'une gestion facile risque de cesser d'être une université autrement que de nom.

Nous estimons que réduire la raison d'être des universités à leur utilité immédiate pour la société conduit à des demandes que celles-ci ne peuvent pas satisfaire, tout en masquant leurs contributions les plus importantes et, par là même, sapant leur potentiel. C'est le projet d'université dans son ensemble qui est important."